Le PS de Courbevoie ouvre ces tribunes aux adhérents de la section de Courbevoie. Le premier de ces textes est consacré aux affaires internationales, avec la Grèce.
Par Jean-MArie Demaldent
sur les particularités grecques
Quelques mots sur les particularités grecques sont nécessaires que tout responsable devrait connaître depuis longtemps.
Depuis la formation du petit Etat indépendant issu de l’Empire ottoman en 1830, l’Etat grec dépend de la manne de l’extérieur. Il s’est agi d’abord de celle de la diaspora grecque, commerçante et très riche, de Russie, d’Italie et surtout ottomane (Istanbul, Smyrne, Alexandrie…) dont les dons ont permis à une société toute rurale, la capitale comptant seulement 5000 habitants, de créer une infrastructure minimum. Plus tard, une partie des revenus des très nombreux émigrés grecs (surtout aux Etats-Unis) renvoyée à leurs familles restées au pays s’y est rajoutée. A partir des années 1880, la Grèce a emprunté à tout va à l’étranger pour se moderniser (en particulier en France) et a dû être déclarée en banqueroute en 1893. La même mésaventure se reproduira en 1932.
Après la Seconde Guerre mondiale et la guerre civile, la manne venait du robinet à dollars ouvert en grand par les Etats-Unis, beaucoup plus largement que ce qui aurait dû résulter du seul plan Marshall. Avec de lourdes contreparties : une démocratie limitée pour consolider le bastion anticommuniste issu de la guerre civile, barrant la route de la Méditerranée au communisme, une armée au budget démesuré qui serait un Etat dans l’Etat à l’abri des aléas électoraux, sans parler du putsch des colonels en 1967, même si, dans cette affaire, ils avaient pris de vitesse le coup d’Etat que préparaient les généraux, le Roi et la CIA, plaçant celle-ci devant le fait accompli. Après la dictature des colonels, la Grèce a bénéficié d’énormes « fonds structurels » européens que les gouvernements successifs ont utilisés, comme ils faisaient dans le passé avec la manne extérieure, plus pour le fonctionnement du système clientéliste que pour la modernisation politique et le développement économique.
Initialement, la classe dominante grecque vivait de prébendes publiques. Il n’y avait guère de grandes propriétés dans le petit Etat rural, mais seulement des notables moins malaisés que les paysans, notamment d’anciens intermédiaires des Ottomans pour lever le tribut fiscal sur les paysans qu’ils prétendaient protéger ; notables que les klephtes (bandits d’honneur qui ont joué un rôle décisif dans la guerre d’indépendance) ont empêché de mettre la main sur les « terres ottomanes » qui sont restées publiques. Ils se sont d’abord liés aux protecteurs des Puissances, aux Français, Anglais et Russes pour défendre leurs intérêts auprès de la xénocratie imposée à la Grèce : un roitelet et une administration bavaroise. Avec le suffrage universel (1844) et la monarchie parlementaire danoise (1869), ils ont créé un système clientéliste prébendier.
Les hauts et moyens emplois publics beaucoup plus nombreux que les plus modestes fournissaient les plus importantes richesses du pays, autant que les plus grandes propriétés. Le clientélisme régnait à l’état pur. Les paysans très pauvres votaient pour les candidats de leurs supposés « protecteurs » pour continuer à usurper des « terres ottomanes » qu’ils cultivaient ou pour obtenir des titres de propriété et le moratoire concernant l’emprunt qu’ils avaient dû contracter à cet effet, etc. Ou, tout simplement, pour accéder aux très maigres services de l’Etat qui exigeait notamment la rédaction de papiers en katharevoussa, une langue savante que ne connaissaient pas les paysans qui se croyaient obligés de soutenir leurs protecteurs fidèlement pour qu’ils ne soient pas remplacés par d’autres qui ne leur devraient rien.
Dans les années 1880, les choses ont changé avec l’acquisition par le petit Etat de la Thessalie où existaient des latifundia et avec le développement d’une bourgeoisie commerçante. Un bipartisme avec alternance s’installe opposant des « libéraux » incarnés par Charilaos Tricoupis, insérés dans l’économie marchande et cherchant à moderniser le pays (ex le canal de Corinthe) et les « populistes conservateurs » dont la domination était plus patriarcale, incarnés par Deliyanis et accusant les « libéraux » d’être des « écraseurs d’impôts » pour rembourser les emprunts à l’étranger (ce qui conduira à la banqueroute de 1893). Le compromis qui soutenait le bipartisme à alternance reposait sur le fait qu’on ne touchait pas au clientélisme et au système prébendier, à ceci près que les libéraux exigeaient des diplômes.
Après le coup d’Etat de 1909 qui a imposé le leader crétois Elefter Venizelos, libéral mais plus radical, le système clientéliste demeure mais il devient très instable et se dérègle ;d’où une série impressionnante de prononciamentos militaires, surtout pendant la désastreuse période républicaine (1924-1936). Si le système prébendier et clientéliste restait immobile, le système social évoluait considérablement. Les latifundia ont été démantelées et les terres distribuées au compte-goutte (ce qui constituait une ressource du clientélisme) aux paysans, des ressources ont été allouées aux Grecs d’Asie Mineure après l’échange des populations avec la Turquie ; un impôt sur le revenu a été institué, etc. La modernisation venizéliste s’achèvera lors de la nouvelle banqueroute de 1932. Le putsch fasciste du général Metaxas (1936) mettra fin au bipartisme dérégulé.
Après la Seconde Guerre mondiale et la terrible guerre civile, le système clientéliste a été rétabli. Mais les prébendes ont été en quelque sorte démocratisées. Avant chaque élection, des milliers d’emplois publics sont créés pour les clients, rémunérés façon R.M.I. en plus maigre ; et des ingrédients favorisent la droite : pour obtenir n’importe quoi de l’Etat, un permis de conduire, un permis de chasse, etc., il faut produire un « certificat de probité nationale », ce qui exclut l’appartenance à la gauche. Après la chute de la dictature des colonels, ni Caramanlis, leader de la droite, ni Andreas Papandréou (le père de l’actuel) n’ont rompu avec ce système.
Il est évident qu’on ne sort pas d’une situation historiquement aussi enracinée par un simple claquement de doigts et en très peu de temps. Mais l’Europe n’ignorait rien de tout cela quand la Grèce a adhéré à la CEE et quand elle est entrée dans l’euro.
De la même façon, elle connaissait les bizarreries grecques les plus spectaculaires : un régime fiscal ultra privilégié pour l’Eglise qui possède presque le tiers des terres et d’immenses richesses, la garantie constitutionnelle offerte aux armateurs de ne pas payer d’impôts, un budget militaire à 19 % totalement démesuré, une fraude fiscale généralisée enracinée dans la résistance à l’exploitation par le tribut fiscal de l’Empire ottoman, puis aux impôts uniquement indirects dans un pays qui n’a pas connu d’impôt sur le revenu même proportionnel pendant très longtemps. En finir avec ces bizarreries suffirait presque à résoudre les problèmes ; mais ce n’est pas aussi simple. La guerre d’indépendance s’est quasiment confondue avec une révolte orthodoxe, celle du « millet » chrétien ottoman, communauté disposant de ses propres lois et juges. Paradoxe. C’est sous le gouvernement PASOK de Simitis, menacé d’excommunication par l’Eglise en raison de son programme réformiste, que les actuels privilèges fiscaux de l’Eglise ont été institués. Quant aux armateurs, ils peuvent très bien effectuer leurs opérations pour échapper au fisc grec sans garantie institutionnelle.
Le problème grec en soi est minuscule. Mais on a vu combien il concernait les banques créancières françaises ou allemandes. Bien entendu, la crise italienne aurait des conséquences beaucoup plus graves et insurmontables pour les banques européennes et ainsi de suite. Les technocrates sont censés imposer partout l’austérité que les « politiciens » élus ne pourraient assumer. Mais on mesure immédiatement l’aspect invraisemblable de ces remèdes de cheval appliqués à des situations très différentes. La dette grecque n’a rien à voir avec la dette espagnole. Avant la crise des subprimes, on félicitait l’Espagne et l’Irlande pour leur sur-équilibre budgétaire (« la règle de platine » !). C’est une bulle immobilière gigantesque qui a tout fichu par terre et qui a crevé quand les acheteurs anglo-saxons en raison de la crise n’ont plus eu les moyens d’acheter des résidences secondaires (version moderne des fameux « châteaux en Espagne »). La dette italienne jusqu’à il y a peu était souscrite essentiellement par des Italiens, etc. Plus personne ne contrôle les réactions en chaîne de la crise capitaliste mondiale. Les Américains sont dans une situation pire que l’Europe. Une gigantesque bulle immobilière crèvera en Chine ; on ne sait quand, mais elle crèvera, etc. Et nos banques en si mauvais état empruntent à la BCE à 1,5 % de taux d’intérêt pour prêter à la Grèce avec un taux quasiment à deux chiffres.
Le socialisme n’a aucune raison de s’imposer en pleine prospérité capitaliste et on sait que l’Europe se construit à coups de crise. L’un des problèmes que nous devons surmonter provient du fait que, réformistes ou révolutionnaires, les socialistes comptaient sur les luttes syndicales et associatives couplées avec la conquête du pouvoir d’Etat pour transformer la société. Avec la mondialisation, il n’existe aucun pouvoir institutionnel à l’échelle du marché et celui-ci place les Etats en concurrence entre eux pour la dérégulation et l’abaissement de la protection sociale ainsi que des droits des travailleurs. La tâche la plus urgente est de reconstruire des régulations au niveau mondial et de rebâtir un modèle social et économique européen qui passe par une intégration politique beaucoup plus avancée. La condition pour y parvenir impose la construction d’un véritable Parti socialiste européen, de la base des sections locales au sommet, doté d’un véritable programme de transformation sociale et pas seulement des aménagements institutionnels par traités. Ces derniers devraient aller vers plus de démocratie et non pas, comme aujourd’hui, plus de technocratie. Le ministre CDU allemand des finances vient de proposer l’élection d’un Président au suffrage universel. Mieux vaudrait une commission élue et politiquement responsable devant un Parlement plus fort. L’élection d’un Président représentatif d’un Etat majeur serait inacceptable par les autres Etats et seul un nouveau Van Rompuy serait supportable, mais inopérant.
Jean-Marie Demaldent
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