Messieurs les Premiers ministres, Mesdames et Messieurs les ministres, Mesdames, Messieurs,
J’appartiens à une génération qui a eu la chance inestimable de ne pas avoir connu la guerre dans son pays. Je me sens néanmoins dépositaire du message que François Mitterrand délivra le 17 janvier 1995 avant de quitter ses fonctions. C’était à l’occasion d’un ultime discours devant le Parlement européen. Il déclarait : « la guerre, ce n’est pas le passé, cela peut être l’avenir. Et c’est à vous d’être les gardiens de notre paix, de notre sécurité, de cet avenir. » C’est pourquoi, candidat à l’élection présidentielle, j’ai voulu m’exprimer aujourd'hui sur un sujet grave et important, trop peu présent dans la campagne jusqu'à aujourd'hui, celui de la défense de la France.
En m’adressant à vous et au-delà de vous, je pense à nos soldats engagés au péril de leur vie en Afghanistan, mais aussi à ces marins qui luttent contre la piraterie dans le Golfe d’Aden, à nos aviateurs qui sont intervenus avec tant d’efficacité pour protéger la population libyenne et à tous ceux, anonymes, qui se dévouent pour la sécurité de notre pays.
Candidat à la présidence de la République, je connais toute l’exigence qui est celle de la fonction de chef des Armées. Et je veux vous livrer la conception que j’ai de cette responsabilité.
Elle implique d’abord une vision, une vision du monde, une vision aussi de la France, une constance dans les choix et dans les décisions, un sens de l’intérêt général et une conception élevée de la Nation. La défense en effet est l’instrument de préservation de notre bien commun qui s’appelle l’indépendance nationale. Je veux redonner à notre pays sa place et son rang. J’entends qu’il puisse à nouveau faire résonner en Europe et dans le monde sa voix singulière, celle qui promeut des valeurs, sert la paix sans jamais affaiblir la défense de nos intérêts nationaux.
Une politique de la défense exige de fixer une stratégie pour préciser avec netteté les missions confiées aux forces armées sur le territoire national, et qui doivent clairement être distinguées de la sécurité intérieure. La stratégie repose sur une appréhension claire des menaces. En ce début du XXIe siècle, elles sont multiples. J’en identifierai trois.
La première, c’est le terrorisme. Le terrorisme fait toujours partie des maux que nous devons affronter. Al-Qaida a certes été affaibli, son chef Ben Laden tué, mais sa branche au Sahel, l’AQMI, s’est renforcée de façon préoccupante ces derniers mois. Je n’oublie d’ailleurs pas nos compatriotes dans cette partie du monde. D’où l’enjeu du renseignement et de la capacité d’intervention. Cela vaut aussi pour combattre la piraterie.
Il y a une seconde menace, qui n’est pas d’ailleurs militaire. J’en parle à l’occasion de ce jour anniversaire de la tragédie de Fukushima, catastrophe naturelle, catastrophe industrielle sans précédent. C’est un risque qui, pour n’être pas militaire, peut impliquer des militaires pour en surmonter les conséquences, pour exiger une mobilisation de toutes les forces de sécurité.
Enfin, il y a une troisième menace, c’est la course aux armements que l’on constate depuis dix ans en Asie et au Moyen-Orient. Et un sujet d’inquiétude particulièrement lourd pour la stabilité de la paix mondiale, c’est notamment la prolifération. Il s’agira, face à cette menace précise et en même temps diffuse, de ne pas baisser la garde et de poursuivre le contrôle des armements et la lutte implacable contre la prolifération.
Sur le plan géographique, les menaces existent mais ne sont pas de même nature. En Europe même, il y a moins de vingt ans, les conflits des Balkans nous ont renvoyé aux pages terribles du début du XXe siècle. L’emploi raisonné de la force armée a été déterminant pour rétablir la construction pacifique et tolérante qui existe aujourd’hui. J’y ai apporté à l’époque mon soutien, et notamment aux décisions qui avaient été prises par Jacques Chirac et Lionel Jospin. Ces choix étaient fondés.
La situation dans les régions qui entourent notre continent est instable, notamment autour de la Méditerranée. Elle exige donc une vigilance réelle et des efforts de coopération et de prévention des conflits. Je la sais partagée, cette vigilance, avec nos partenaires de l’Union européenne.
Au Proche et au Moyen-Orient, non seulement la paix n’a pas progressé, mais les négociations sont bloquées. Avec un risque, qui est celui du retour des violences, et à tout le moins des incompréhensions.
Mais c’est en Iran et dans le Golfe que réside notre plus grande inquiétude. L’Iran a certes droit à l’énergie nucléaire civile, mais ce pays doit respecter ses engagements internationaux en matière de non-prolifération nucléaire. Les rapports de l’AIEA sont préoccupants. Ils justifient pleinement la mise en place de sanctions et une attitude de fermeté à l’endroit des ambitions nucléaires iraniennes. Ces sanctions devront si nécessaire, être renforcées. Je souhaite qu’elles puissent l’être dans le cadre des Nations unies, dès lors que l’ensemble des membres permanents du Conseil de sécurité y prendront leurs responsabilités. Parallèlement, la porte doit rester ouverte pour le dialogue afin de trouver une issue à cette crise. C’est l’intérêt de tous, de l’Iran, de l’ensemble de la région, du monde, mais aussi de la France.
A l’inverse, toute initiative militaire unilatérale, dont chacun mesure bien les dangers d’escalade, serait inopportune. Vigilance, fermeté, sanction, disponibilité pour un dialogue sérieux, telle est notre ligne de conduite.
De cette crise, je retire aussi un enseignement. Notre défense doit impérativement s’appuyer à l’avenir sur une expertise, sur des capacités notamment dans le renseignement et sur une organisation solide pour prévenir les risques de prolifération. Elle doit s’adapter rapidement aux nouvelles menaces, en particulier celles qui pèsent sur les espaces maritimes, mais aussi extra-atmosphériques ou encore les cyber échanges de données.
Evoquant cette région du monde, je veux redire ma condamnation absolue des massacres perpétrés par Bachar el-Assad en Syrie. La Russie et la Chine, là encore, doivent assumer leurs responsabilités au service des principes fondamentaux de la charte des Nations unies, et cesser d’entraver l’action internationale. Aucun effort, là encore, ne doit être ménagé pour venir en appui des initiatives de la Ligue arabe et pour venir en aide aux populations civiles. Par ailleurs, Bachar el-Assad devra un jour ou l’autre rendre des comptes pour les crimes qu’il commet, rendre des comptes devant la Cour pénale internationale.
En Afghanistan, la situation reste grave et confuse. Je veux saluer la mémoire de nos soldats qui ont payé de leur vie la défense de notre sécurité et la mission qui leur était confiée. 82 d’entre eux sont morts en Afghanistan, morts pour la France. Mes pensées vont à leurs familles, à leurs camarades de combat, mais aussi à tous les blessés meurtris dans ces opérations. Nous ne les abandonnerons pas, nous ne les oublierons pas.
J’ai annoncé qu’au lendemain du 6 mai, si les Français m’en donnent mandat, la France engagera le retrait de ses troupes combattantes d’Afghanistan. C’est la conclusion logique de l’analyse de la situation, dix ans après le début des opérations. En 2001, Jacques Chirac et Lionel Jospin avaient décidé d’engager la France militairement dans la lutte contre le terrorisme international. C’était logique après les attentats du 11 septembre. Il n’était pas possible de transiger ou de tergiverser. L’objectif était clair, précis : renverser le régime taliban et lutter contre le terrorisme d’Al-Qaida. Il s’est produit au printemps 2008 un changement. Les missions dévolues à nos Armées ont changé. Des renforts ont été envoyés avec une implication directe dans les zones de combat. Des drames récents ont justifié dans la hâte un nouvel infléchissement de notre présence en Afghanistan, sans que la cohérence en sorte renforcée.
C’est pourquoi l’objectif que je fixe dans le cadre d’une élection présidentielle permettra de dire à nos alliés au lendemain de cette échéance quelles seront nos décisions.
Nous accélérerons dans les meilleures conditions de sécurité le retrait de nos forces combattantes pour que, fin 2012, nos soldats soient rentrés. Nous agirons en concertation — et c’est légitime — avec nos alliés. Nous n’imposerons pas notre rythme à d’autres, mais nous agirons en toute indépendance.
Plus largement, puisque j’évoque les opérations extérieures, je procéderai à un réexamen de l’ensemble de ces missions entreprises en partenariat le plus souvent avec des Nations amies et toujours placées sous un mandat des Nations unies. Elles devront garder, dans la durée, leur légitimité et leur efficacité. A cette fin, j’entends instaurer une pratique nouvelle rendue possible par le progrès représenté par la réforme de l’article 35 de la Constitution. Au lieu de demander au Parlement un assentiment en bloc pour l’ensemble des opérations, comme l’a fait le gouvernement sortant, le nouveau gouvernement entendra procéder régulièrement à une évaluation de chacun de nos engagements dès lors qu’une certaine durée a été consentie. Cela se fera en dialogue approfondi avec le Parlement, pour constater publiquement si la mission reste conforme à nos orientations ou si elle doit donner lieu à une évolution – tout en respectant la solidarité avec les autres Nations intervenantes.
Voilà le sens de ce que nous engagerons par rapport à l’ensemble des opérations extérieures.
Certaines ont concerné l’Afrique. L’Afrique, traversée par des conflits, par des convoitises suscitées par la présence de matières premières particulièrement recherchées. L’Afrique où des nouvelles puissances veulent s’installer. L’Afrique que l’on regarde souvent avec commisération alors que c’est un continent plein de puissance économique, plein de gisements, avec un formidable potentiel humain et économique. Là se joue aussi une part de l’avenir du monde.
Je souhaite faire de la France un partenaire présent avec l’ensemble des Nations africaines. Cela implique une coopération débarrassée des formes anciennes héritées de la période post-coloniale qui dure, et tournée résolument vers les défis des sociétés africaines du XXIe siècle. Nous accorderons enfin les paroles et les actes et changerons les rapports avec certains régimes. Je veux refonder la politique de coopération de défense avec l’Afrique, en mettant en œuvre un partenariat global avec l’Union africaine qui s’est nettement affirmée comme un acteur crédible de maintien de la paix. Et je veillerai à associer à cette politique nos amis européens.
Voilà le tour d’horizon des menaces, des défis, des enjeux qui me conduisent à cette conclusion : le premier devoir de la France est de continuer à prévenir la guerre et à construire la paix, par le droit, par la négociation, par la coopération, et quand c’est nécessaire par l’action.
Pour définir la politique de défense, je prends cinq engagements.
Le premier, c’est de fixer un cap pour notre stratégie de défense. Les Etats-Unis sont désormais dans une perspective de réorientation de leurs moyens vers l’Asie Pacifique. La Russie vient d’annoncer son intention de moderniser massivement et rapidement son outil de défense. La Chine et d’autres puissances émergentes entendent peser dans les affaires du monde, en tout cas n’acceptent plus de se laisser conduire ou entraîner. Qui ne voit que nous changeons d’époque ? D’où la question pour la France avec ses moyens, mais avec son histoire, sa géographie, sa volonté de pouvoir porter ses valeurs : comment relever les défis ?
D’abord dans le cadre européen. L’Europe de la défense a été tant de fois évoquée, espérée, engagée. Elle doit prendre une nouvelle dimension. Peut-on en effet concevoir que des pays qui ont mis en commun leur destin, et certains même leur monnaie, qui sont liés depuis le traité de Lisbonne par une clause de défense mutuelle et même clause de solidarité face au terrorisme, comment ces pays pourraient-ils continuer de considérer que les questions de défense et de sécurité seraient taboues ? Il nous faut reprendre les travaux laissés en plan sur le concept stratégique de l’Union européenne, en envisageant de les prolonger par un inventaire des capacités et des technologies indispensables à la défense et à la sécurité future de l’Europe.
Je veux que l’alternance politique en France, si elle vient, soit l’occasion d’une relance de la défense européenne. Je sais le scepticisme ambiant. Et il ne s’agit pas de psalmodier « Europe de la défense, Europe de la défense, Europe de la défense » de façon incantatoire, mais d’être avant tout politique et pragmatique.
Avec trois ambitions. D’abord, poursuivre les efforts d’approfondissement de la relation la franco-britannique qui avait été engagée à Saint-Malo, qui s’est poursuivie ces derniers mois, mais aussi en revivifiant la coopération franco-allemande et en favorisant les convergences avec tous nos partenaires européens — en tout cas ceux qui veulent participer à cette démarche. Je pense aux Belges, aux Espagnols, aux Italiens, aux Polonais qui sont, ils me l’ont rappelé, demandeurs.
Deuxième orientation, c’est d’explorer toutes les pistes permettant une rationalisation des appareils militaires des pays membres de l’Union : mutualisation des moyens nationaux existants, programmation collective des équipements futurs, spécialisation des tâches, renforcement des capacités communes, critères de convergence, là encore.
La troisième orientation, c’est d’œuvrer dans le sens de la consolidation de la base technologique et industrielle européenne, ce qui suppose un soutien commun à l’effort de recherche aéronautique et de défense, mais aussi des rapprochements d’entreprises. Dans le volet de croissance que je préconise pour l’Europe, il y a aussi des projets qui peuvent être liés à notre volonté commune d’avancer sur l’Europe de la défense.
Je disais l’Europe. Je veux aussi évoquer notre alliance, c’est-à-dire l’Alliance atlantique. Elle est une garantie de notre sécurité. C’est un instrument de gestion de crise. Faut-il ou fallait-il revenir dans le commandement militaire intégré de cette organisation ? Le président sortant en a décidé ainsi au début de son mandat, sans d’ailleurs avoir alerté les Français de cette intention au moment de sa candidature, et il l’a fait dans la précipitation et sans contrepartie effective.
La France, plusieurs années après, n’en a retiré aucun bénéfice probant. Il faudra donc évaluer cette décision. Quelle est aujourd’hui la raison d’être de l’OTAN ? Quelle est sa mission essentielle ? Quel est l’avantage de notre participation au commandement militaire intégré ? Je veillerai donc à ce que cette évaluation nous permette à la fois d’avoir les contreparties qui avaient été un moment évoquées, et aussi la préservation de notre indépendance. Il se trouve que l’un des premiers sommets internationaux auxquels le nouveau Président de la République, je l’espère, viendra, sera le sommet de l’OTAN à Chicago les 20 et 21 mai prochains. Si les Français m’en ont donné mandat à travers leur vote, c’est là que j’annoncerai notre décision sur l’Afghanistan. J’évoquerai l’engagement des pays européens dans le projet de défense antimissile, qui mérite réflexion, tant les moyens qu’il faudrait y consacrer seraient considérables et tant une telle approche pourrait avoir des conséquences à terme sur notre force de dissuasion.
Toutes ces questions se posent et j’entends les poser à nos interlocuteurs et alliés européens comme américains. Mais notre effort de défense repose d’abord sur nous-mêmes. C’est pourquoi je souhaite que soit entreprise au plus tôt la rédaction d’un nouveau livre blanc de la défense. Il sera centré sur les missions assignées à nos forces, une loi de programmation militaire suivra, avec deux objectifs : répondre aux menaces identifiées et dimensionner nos équipements aussi précisément que possible par rapport à ces enjeux. J’appellerai les militaires à participer à cette réflexion, elle devra être conduite rapidement pour ne pas retarder nos choix et pour donner au Parlement et donc à la Nation l’occasion d’un débat démocratique approfondi.
D’ores et déjà, je veux réaffirmer deux orientations. La première, c’est la consolidation de notre dissuasion nucléaire. Elle est indissociable de notre sécurité et de notre statut international. Elle est, selon la formule trop souvent employée mais juste, « l’assurance-vie » de notre pays, notamment face à la menace de la prolifération. Elle est dédiée à la défense de nos intérêts vitaux, donc elle sanctuarise le territoire. Elle est l’arme de l’autonomie de nos choix. Dissuasion, siège permanent au Conseil de sécurité et capacité crédible de nous engager dans les crises : voilà l’articulation qui nous permet de parler fort et d’exprimer notre point de vue dans le concert des nations.
Je me suis rendu il y a quelques semaines à l’Ile Longue pour marquer cet engagement mais dire aussi combien je regarde avec respect les sentinelles et les garants de la sécurité suprême de notre Nation, ceux qui nous permettent, sans que nous le sachions tous, d’être toujours protégés. Le contexte international n’autorise aucune faiblesse. Nous ne devrons en aucune façon baisser la garde. Notre effort pour la paix dans le monde, pour le désarmement et pour la construction européenne va de pair avec notre volonté de préserver les intérêts vitaux de notre Nation. Je ne transigerai donc en rien ni n’abandonnerai aucune de nos prérogatives en ce domaine. Nous conserverons donc les deux composantes, aérienne et sous-marine, de notre dissuasion.
La deuxième orientation que je voulais réaffirmer, c’est le niveau crédible de l’effort de défense pour notre Nation. Nous sommes dans un contexte budgétaire que chacun connaît, une dette considérable. La tentation peut être forte de faire de la défense une variable d’ajustement. Il y aura des économies à faire. Mais il y aura aussi un respect à avoir par rapport à ce qui est la condition même de notre indépendance. La défense contribuera, dans les mêmes proportions que les autres missions de l’Etat. C’est dans ce cadre que des mesures de rationalisation seront réalisées, sans faux-semblant et sans dissimulation. Chacun connaît ici les artifices budgétaires destinés à masquer les insuffisances de crédits. Chacun sait que la loi de programmation militaire qui a été votée ne sera pas en définitive appliquée selon les objectifs qui avaient été affichés. Chacun sait que nos opérations ont coûté beaucoup plus cher qu’il n’est souvent dit ou qu’il n’avait été prétendu. Il y aura donc des choix à faire. Ils seront faits, expliqués, assumés.
Dans ce cadre, seront notamment confirmés plusieurs besoins prioritaires pour notre défense : en termes de capacités d’abord, au premier rang desquels les moyens d’anticipation, d’analyse, de renseignement, susceptibles d’éclairer les décideurs tant politiques que militaires, ainsi que les instruments d’orientation et de coordination de ces moyens. Je pense en particulier au domaine spatial. Nous veillerons aussi à la satisfaction des besoins opérationnels les plus immédiats qui concernent les forces engagées, notamment la protection des unités combattantes, leurs moyens de commandement, leur interopérabilité, leur logistique. J’attacherai aussi de l’importance aux drones qui ont été trop longtemps négligés dans la période précédente. Voilà ce que nous aurons à faire dans le cadre des choix qui concerneront notre Nation, par rapport à un contexte budgétaire, par rapport à des économies à faire mais aussi par rapport à des objectifs à respecter.
Mon deuxième engagement est de construire une politique industrielle de défense. Parce que c’est un secteur économique significatif, mais aussi un réservoir d’avance technologique et d’emplois qualifiés, très peu exposé aux délocalisations, qui touche de nombreux domaines – aéronautique, espace, sécurité, communication – avec des retombées importantes en termes de recherche sur l’activité civile. Je veux une industrie de défense forte, cohérente, contrôlée. Forte, car l’existence d’une industrie de défense renforce la crédibilité de nos Armées ainsi que l’autonomie de décision de l’autorité politique. C’est aussi un instrument au service d’une politique extérieure. A ce titre, nos politiques d’exportation et de coopération se devront d’être plus rigoureuses, s’adaptant sans cesse aux réalités stratégiques, politiques, financières et même éthiques des contractants. Industrie forte, industrie cohérente, qui supposera de rassembler sous une même autorité nos instruments de contrôle des technologies civiles et militaires, de défense et de sécurité, trop souvent dispersées. Une industrie contrôlée, ce qui justifiera que le gouvernement puisse rendre des comptes, chaque année, au Parlement, de ses choix. Un effort de transparence renouvelé : nous ajouterons des mécanismes de vérification plus efficients sur les matériels, sur les intermédiaires et sur les destinataires finaux.
Nous avons, pendant la période du gouvernement de Lionel Jospin, fait des regroupements utiles qui ont renforcé notre industrie de défense et qui, de plus, ont créé des partenariats européens. Donc, nous devons continuer à agir au sein de l’Union européenne. Nous devrons renforcer les mécanismes communs, faisant obstacle à l’approvisionnement des Etats déstabilisateurs ou retournant, à des fins de répression – c’est arrivé – les équipements qui leur avaient été fournis contre des populations désarmées. Nous avons aussi à construire des grands groupes industriels de défense. Ces choix sont cruciaux, ils sont les garants de nos intérêts de souveraineté et aussi de nos emplois. La crédibilité de notre action politique est indissociable de notre volonté de construire des ensembles cohérents au plan industriel et à l’échelle de l’Europe. Je n’entends donc déléguer à quiconque cette responsabilité de tracer l’avenir des grands groupes industriels de défense, et certainement pas à des intérêts privés ou financiers à qui le gouvernement sortant s’est trop souvent plié. Qu’il y ait des fournisseurs, c’est bien légitime. De grands industriels, nous les respectons. Mais attention à la confusion. Je soutiendrai parallèlement le rôle des PME dans le domaine de la défense car leur dynamisme, leur capacité d’innovation en font un réservoir technologique précieux. Et les grands groupes de la défense seront incités, un peu plus encore qu’aujourd’hui, dans leurs réponses aux appels d’offres du ministère de la Défense, à associer les PME-PMI à leurs projets. Cette impulsion concernera tous les domaines liés à l’innovation, à la recherche et au développement.
Les récents événements en Libye ont permis d’illustrer de nouveau, s’il en était besoin, l’absolue nécessité de l’excellence technologique de l’équipement de nos forces. Et le défi portant sur les drones est une autre illustration de cet impératif. Je consulterai les industriels du domaine concerné pour envisager avec eux les perspectives de démultiplication des actions de l’Etat. Les coopérations industrielles, je l’ai dit, seront encouragées. En témoignent nos deux champions industriels, l’un et l’autre de dimensions européenne et mondiale, EADS et Thalès. Des alliances, sur la base de projets communs ou d’intérêts industriels structurants, seront également suscitées avec des partenariats stratégiques en Asie et en Amérique du sud.
Troisième engagement : rétablir un fonctionnement équilibré des pouvoirs publics dans le domaine de la défense. Le quinquennat qui s’achève a été marqué par une pratique du pouvoir exagérément concentrée et souvent désordonnée. Il reviendra donc au Président nouveau, celui qu’auront choisi les Français, de rétablir une cohérence adaptée à cette grande fonction régalienne. Il s’agit d’une prérogative éminente de l’exécutif et donc du Président de la République, mais aussi du gouvernement et d’abord du Premier ministre, constitutionnellement responsable de la défense nationale. Le ministère de la Défense lui-même sera organisé autour du principe de la primauté du politique. Le rôle du Parlement sera étendu dans l’approbation des décisions – j’ai parlé de l’engagement de nos forces –, sera élargi dans le domaine du contrôle du budget et de la gestion des opérations qui peuvent être menées au nom de la France. Nous aurons aussi à permettre que les militaires eux-mêmes puissent être davantage associés. A cet égard, je suis confiant de la possibilité de trouver, au sein de la Nation, un consensus, qui n’a jamais manqué sauf à de rares occasions, en matière de défense. Les occasions qui ont été celles du dissensus, c’est lorsque les principes essentiels n’étaient plus ceux de notre défense nationale. Je sais qu’il y a dans le pays et aussi dans le futur Parlement, une majorité très large pour adhérer aux principaux enjeux de la défense. Cette politique doit être la plus partagée possible et j’en tiendrai compte dans les décisions que j’aurai à prendre si le peuple français en décide ainsi. Dans la préparation des décisions de l’exécutif, la qualité du dialogue avec les chefs militaires est un soutien essentiel pour éclairer les choix du politique. Je fais confiance aux grands serviteurs de l’Etat, civils et militaires, qui sont les rouages humains de cette fabrication des décisions régaliennes.
Je sais pouvoir compter sur leur exigence et leur sens des responsabilités. Ils pourront aussi compter sur le prochain président pour utiliser pleinement leurs compétences et pour assurer un débat suffisamment ouvert pour que la décision tienne compte de tous les éléments d’information et de réflexion.
Mon quatrième engagement est par rapport aux personnels de la défense, pour leur accorder la reconnaissance et la concertation auxquelles ils ont droit. Nos soldats continuent à remplir admirablement leur mission. Le font-ils dans les meilleures conditions possibles ? Ce n’est pas sûr. Depuis 2007, là encore, la politique a été, en termes de moyens, velléitaire et confuse. Des réorganisations sont en cours sans cohérence. Elles renforcent le sentiment de désordre dans la conduite des réformes. Il était prévu que nos Armées en 2008 suppriment 54 000 emplois, une ponction massive. Or par inconséquence, les nécessaires rationalisations qui devaient accompagner ces baisses d’effectifs ont été renvoyées à plus tard. Au total, la réforme est mal pilotée. L’impasse budgétaire est probable — elle est camouflée.
C’est pourquoi, pour assurer au mieux l’accès à une organisation cohérente, je demanderai au gouvernement de mener dès son entrée en responsabilité un point précis du budget de la mission Défense et également de faire une évaluation des réformes en cours.
La Direction générale de l’armement a subi des réductions importantes d’effectifs, ce qui prive l’Etat des moyens de construire et d’animer correctement une politique industrielle. Là encore, nous aurons à renforcer cette grande administration qui poursuit une belle mission au service de l’équipement de nos forces. Tous les personnels, ingénieurs, techniciens, fonctionnaires, ouvriers, doivent savoir qu’ils ont ma confiance pour relever les défis qui se présentent.
J’entends être aussi le garant vigilant de la condition des personnels et de leurs familles, que je n’oublie pas. Les militaires et les personnels civils de la défense ont fait le choix de servir la Nation. Nous leur devons solidarité et vigilance pour le respect de leurs droits. La professionnalisation des Armées est achevée depuis dix ans. Il est temps de franchir une nouvelle étape dans la définition et le rôle de chacun. Il est temps aussi de perfectionner les modes de concertation, de représentation des personnels. Au-delà des conditions dans lesquelles ils exercent leur métier, qu’ils soient civils ou militaires, ils doivent être les acteurs de notre propre destin et tous respectés en tant que citoyens. Des décisions seront prises en ce sens pour les militaires. Le statut des militaires adopté par la loi du 24 mars 2005 tire des conséquences de la professionnalisation décidée en 1995. Il y a néanmoins deux domaines qui sont encore obscurs : la participation à la vie citoyenne et la liberté professionnelle. Il est temps de reconnaître aux militaires qu’ils sont des citoyens à part entière. Les seules restrictions, elles sont néanmoins indispensables, sont celles qui découlent des exigences des opérations, de l’indispensable neutralité des Armées et de la totale cohésion qu’on est en droit d’attendre.
Sur la représentation professionnelle, nous donnerons une nouvelle impulsion aux mécanismes de concertation propres aux militaires. Pour la participation à la vie de la Cité, nous déterminerons avec les militaires ce qu’ils peuvent attendre afin que nous puissions mettre en place une citoyenneté plus active. Bien sûr, je l’ai dit, la neutralité sera préservée car nos Armées doivent absolument demeurer en dehors de tout débat partisan. Il s’agit de l’Armée de la Nation. Mais nous pouvons favoriser des modes d’expression différents d’aujourd’hui.
Par ailleurs, les militaires doivent avoir une considération. Je pense à eux et aussi à leurs familles. Nous n’accepterons plus que des problèmes de retard dans le versement des soldes, notamment de militaires en opération, mettent des familles en difficulté. On me parle d’un logiciel qui aurait créé du désordre. C’est inacceptable, et encore plus inacceptable quand cela touche des soldats qui sont en opération et d’une manière générale des fonctionnaires, qu’ils soient militaires ou qu’ils soient civils.
Je veux aussi évoquer un autre sujet plus délicat encore, qui est la judiciarisation des événements de combat. Les familles veulent comprendre ce qui s’est passé quand il y a eu des morts en opération ou des blessés. En face, les responsables au combat s’inquiètent de penser que chacun de leurs actes de commandement pourrait demain ou après-demain devenir un facteur de responsabilité pénale contre eux. C’est un dilemme — il n’est pas insoluble. Sans attendre d’être dans une impasse sur un cas dramatisé et dramatique, le gouvernement et le Parlement devront engager une réflexion pour répondre à ces situations.
Je veux aussi dire aux militaires qui assurent la sécurité et la protection de nos concitoyens, les gendarmes, que certes ils sont rattachés depuis 2009 pour leur gestion au ministère de l’Intérieur après avoir été mis à disposition. J’entends clairement un certain nombre de leurs messages, souvent relayés par les élus du monde rural ou périurbain que je connais bien. Je demanderai donc en cas d’élection aux deux ministres de l’Intérieur et de la Défense, sous la conduite du Premier ministre, de faire l’évaluation, là encore, de cette nouvelle organisation en veillant à préserver la spécificité militaire et le déploiement de terrain de la Gendarmerie. Les gendarmes sont des militaires au service de la République et de notre sécurité. Ils le resteront.
Voilà ce que je voulais dire aussi à tous ceux qui concourent à notre sécurité, et même aux militaires de la brigade des Sapeurs-pompiers, à ceux des Marins pompiers de Marseille, bref à tous les personnels qui servent dans les départements de l’hexagone comme dans les départements d’Outre-mer.
Pour les civils, leur place souvent recule depuis 2007 au profit de militaires qui eux-mêmes s’éloignent de leur métier pour exercer des fonctions qui pourraient être assurées sans avoir le statut militaire. Comment comprendre ? Donc, nous devrons renforcer les unités opérationnelles avec des effectifs militaires, qui manquent souvent, en redessinant les superstructures pour consolider la place des civils dans les fonctions non directement opérationnelles.
Mon dernier engagement, c’est le rôle de la défense comme élément de notre cohésion nationale. Notre histoire s’est construite autour de la capacité de la France à intégrer tous les Français, quelles que soient leurs origines, quels que soient leurs parcours, quelle que soit leur couleur de peau, dans le creuset républicain de la Nation. Et nos Armées ont toujours tenu une place éminente pour réaliser cette cohésion. Avec la conscription sans doute, aujourd’hui sans la conscription, l’Armée doit rester un creuset de la cohésion. Au-delà du traditionnel lien entre Armée et Nation, il y a des thématiques que je veux évoquer : le recrutement, la formation, l’ouverture aux jeunes dans la diffusion de l’esprit de défense, la place des anciens combattants, les réserves.
Un certain nombre de décisions devront être prises vis-à-vis des jeunes d’abord. Vous savez combien je suis attaché à ce que la jeunesse soit une priorité. Je rappelle que nos Armées sont les premiers recruteurs de jeunes de 18 à 25 ans : 25 à 30 000 jeunes embauchés par an dans des contrats. Les services de recrutement vont au contact des jeunes, y compris dans les quartiers difficiles. Et je salue ici leur action. Nos Armées doivent être ouvertes à la diversité. Elles doivent jouer encore, et plus que jamais même, un rôle intégrateur, parce que le principe d’intégrité y est la règle. Parce que chacune, chacun doit pouvoir penser, où qu’il vive, qu’il peut ou qu’elle peut servir la Nation, à condition aussi de recevoir, par le moment qui sera celui de la vie au service de nos concitoyens dans un cadre militaire, une formation professionnelle et aussi une expérience qui permettra d’accomplir une vie après. Le rôle des Armées facteur d’intégration, facteur d’égalité, représentantes de la diversité, doit être valorisé.
Je veux aussi parler de l’esprit de défense. La journée Défense et citoyenneté, qui a été réduite à quelques heures, devra faire l’objet d’un recentrage sur cette fonction première. Et pourquoi pas d’ailleurs l’allonger un peu et même la dédoubler ? Nous verrons bien. Cela fera partie, aussi, des décisions à prendre.
Pour la réserve opérationnelle, le recrutement à partir des périodes militaires de perfectionnement sera développé. L’accent sera mis sur la fidélisation des réservistes. Là encore, une formation sera apportée prenant davantage en compte les interruptions de carrière temporaires du réserviste qui fait face à des obligations professionnelles. La réserve citoyenne elle-même sera valorisée et ouverte à des pans entiers de la société qui aujourd’hui n’y ont pas accès.
Le développement de l’esprit de défense passe aussi par l’école, l’école de la République. Toutes les actions qui découlaient des protocoles Défense — Education nationale qui avait été mis en place au début des années 80 par la Gauche seront revivifiées dans un nouveau protocole orienté vers la diffusion de l’esprit de défense auprès des jeunes et auprès des enseignants. L’implication des citoyens dans la mémoire, dans la connaissance de l’histoire de ce qu’ont été nos engagements militaires sera encouragée. Il faut associer les acteurs des dernières générations du monde combattant, à une époque où la mémoire ne peut reposer, maintenant, que sur quelques acteurs. Pour le premier conflit, c’est terminé. Dès lors, c’est du second conflit dont nous avons encore des témoins vivants. Nous avons pu récemment ouvrir droit à une commémoration officielle du sacrifice des militaires professionnels tombés au combat, qui s’ajoutera à des commémorations existantes.
Je pense qu’il faut créer un événement fortement symbolique de notre histoire. Nous proposerons de mettre à profit le centième anniversaire du déclenchement de la première guerre mondiale — ce sera en 2014 — pour créer sur notre territoire, sur le sol où sont tombés tant d’hommes venant de tous les continents du monde, un événement qui sera étendu à toutes les Nations qui ont été engagées dans ce conflit. Cette journée sera un acte de fraternité et de solidarité européennes pour tous les pays qui ont été engagés dans ce conflit majeur. Ce centenaire de la première guerre mondiale doit être un moment très important pour la Nation, pour l’Europe et pour le monde.
Voilà ce que je voulais vous dire, à l’occasion de cette campagne présidentielle, sur une question majeure qui est celle de notre défense, mais qui est aussi celle de notre Nation.
La France est une grande et belle Nation. Elle n’est pas n’importe quelle Nation. Elle a toujours su apporter dans le concert mondial une voix originale, indépendante, généreuse, solidaire. Elle a toujours manifesté son attachement à la démocratie, à la reconnaissance des peuples, à la défense de la paix. La France est respectée chaque fois qu’elle a cette attitude si singulière, si éminente, qui fait résonance pour les peuples dans la souffrance quand ils luttent pour leur liberté ou pour des valeurs qui sont aussi les nôtres.
De cette Nation, l’Armée représente un élément vital. Elle est bien sûr l’élément de la défense de la Nation, mais aussi un pilier de la République. A ce titre, elle mérite notre respect, comme elle mérite la considération et le soutien de nos concitoyens. Mais elle est au service, et au service exclusif, de la République. Si les Français me donnent la lourde tâche d’être le prochain président de la République, j’agirai avec détermination sur tous les sujets que je viens d’évoquer. C’est ce qu’ils attendent de moi, mais c’est ce qu’ils attendent aussi des militaires et de ceux qui ont vocation à conduire le destin de notre pays.
Mais les Français, comme les militaires, veulent un président qui décide mais qui soit aussi capable de sérénité. Des réformes successives sans cohérence d’ensemble, des opérations extérieures multiples ont entraîné des doutes ou des interrogations. Je veux marquer aux militaires la reconnaissance de leur dévouement et de leur professionnalisme, mais dire aussi que nous devrons à chaque fois évaluer nos interventions en fonction des objectifs qui ont été, au départ, fixés.
Je veux évoquer la grande figure de Jean Jaurès pour conclure, lui qui au début du XXe siècle rappelait que les Armées participaient de la cohésion de la Nation. Comme lui, je crois que la patrie est une idée vivante, une idée vivace même, et qu’elle se transforme et gagne même à s’agrandir. Au lieu de fermer les volets sur le nez de la Nation, il faut au contraire lui ouvrir des horizons, lui permettre de voir loin et l’investir de cette belle mission de servir la paix. La politique de défense de la France doit incarner cette responsabilité dans le monde mais aussi construire une Europe plus solide et plus sûre.
C’est ainsi que je veux servir la République pour servir la France.
Merci.
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