Prolongeant la loi du 4 mars 2002, la loi du 22 avril 2005 dite « loi Léonetti » a légalisé le «laisser mourir » en reconnaissant aux patients et aux médecins la possibilité de stopper les traitements thérapeutiques afin d'éviter « l'obstination déraisonnable ». Soucieux de répondre à toutes les situations, François Hollande veut compléter ce dispositif légal et autoriser « l’aide à mourir dans la dignité » sur la base de trois principes.
1. Premier principe : refuser l’hypocrisie
Les opposants au « droit de mourir dans la dignité » affirment le caractère inviolable de certains interdits. C'est la thèse du candidat UMP sortant : « L'euthanasie légalisée risquerait de nous entraîner vers des débordements dangereux et serait contraire à notre concept de la dignité humaine » (Figaro Magazine, 11/02).
En réalité, l’aide active à mourir strictement encadrée par la loi est depuis longtemps une pratique courante dans de nombreux centres de soins :
- Selon une étude faite par les professeurs Pochard et Azoulay en 1999, 20% des décès enréanimation relèvent d’une injonction létale (source : Le Monde du 4/3/2000).
- Dans une pétition publiée par Le Nouvel Observateur en mars 2007, plus de 2 000 soignants ont reconnu avoir « en conscience, aidé médicalement des patients à mourir ».
- Au total, on estime que plusieurs milliers de malades reçoivent, chaque année, une aide clandestine à abréger leurs souffrances.
→ Le seul enjeu est de savoir si la loi doit nier la réalité ou de la constater. Dans un cas, le déni ouvre la voie à toutes les dérives. Dans l'autre cas, la lucidité permet d'encadrer la réalité selon les principes de l'humanité et du droit.
L’hypocrisie est d’autant plus inacceptable qu’elle est actuellement inscrite dans la législation. En effet, la loi du 22 avril 2005 prétend établir une distinction entre « laisser mourir » et « faire mourir ».
- Or, pour lutter contre les douleurs de certains patients, il arrive que des médecins soient contraints d’utiliser une « sédation terminale ». Dans ces circonstances, ils mettent fin,dans un même geste, aux souffrances et à la vie du malade.
- En dehors de ces cas extrêmes, la loi autorise déjà des pratiques assimilées à des aides actives à mourir par des autorités comme le Vatican (ex : l’arrêt de la nutrition dont le Conseil d’Etat a établi clairement qu'il ressort des dispositions légales).
→ La frontière entre « laisser mourir » et « faire mourir » n’est pas une frontière étanche :elle ne protège pas la vie des malades, mais la bonne conscience du législateur.
Sur ce sujet, M. Sarkozy est le premier à porter l’hypocrisie à son comble. Pour rallier la frange la plus conservatrice de son électorat, il renie aujourd’hui ses convictions passées.Le 11 février 2007, ne déclarait-il pas : « il y a des limites à la souffrance qu’on impose à un être humain. Je veux simplement qu’on aborde ces questions en partant moins des principes et plus de la souffrance. On ne peut pas rester les bras ballants devant la souffrance d’un de nos compatriotes qui appelle à ce que ça se termine, tout simplement parce qu’il n’en peut plus ».
N. Sarkozy se satisfait de l'hypocrisie. F. Hollande préfère la franchise.
2. Deuxième principe : affirmer un droit conforme à nos valeurs
Loin de mettre en cause les fondements de notre civilisation, proposer le droit de mourir dans la dignité est conforme aux trois valeurs de notre devise républicaine.
Conforme à la liberté.
Créer un droit de mourir dans la dignité, c'est la liberté ultime d'une humanité reconnue comme telle. Pour la frange conservatrice de la droite, la dignité humaine est le fruit d'un dessein divin : elle s’impose à l’individu et contraint ses choix. Dans la République laïque, la dignité humaine vient de l'humanité elle-même, non d'une transcendance. Chaque personne est un sujet libre et responsable.
→ Légaliser l’aide à mourir, c’est rendre à l’individu la définition de sa dignité.
Conforme à l’égalité.
Il est faux de dire que nous sommes tous égaux devant la mort. Aujourd’hui, le bénéfice d’une aide active à mourir dépend soit du hasard (la compréhension ou non du corpsmédical), soit de la fortune (la possibilité ou non d’aller dans une clinique à l’étranger). La création d’un droit de mourir dans la dignité renforce l’égalité entre citoyens.
→ Légaliser l’aide à mourir, c’est abolir, face à la mort, les privilèges liés à l’argent.
Conforme à la fraternité.
Dans la plupart des cas, les soins palliatifs permettent de soulager les souffrances devenues insupportables. Mais de nombreux malades refusent la perte de conscienceoccasionnés, au moment de mourir, par les sédatifs. Ils préfèrent quitter leurs proches enrestant capables de les reconnaître ou, quand ils le peuvent, de les appeler par leur prénom.
L’aide active à mourir sert ainsi la fraternité humaine. Elle permet de rassembler, au moment ultime, la personne qui part et celles qui restent.
→ Légaliser l’aide à mourir, c’est permettre qu’un adieu partagé soit encore possible.
Pour F. Hollande, les valeurs qui nous rassemblent sont celles de la République.
3. Troisième principe : encadrer une procédure
Dans son projet présidentiel (proposition 21), F. Hollande a posé un principe : offrir une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité à « toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable et qui ne peut être apaisée ». Ce principe est suffisamment mesuré pour prévenir toute dérive vers l’assistance automatique au suicide.
En outre, F. Hollande s’engage à le mettre en oeuvre « dans des conditions strictes et précises ». Fidèle à la proposition de loi défendue par le groupe SRC en novembre 2009, le dispositif légal pourrait ainsi
prévoir :
- L’obligation de consulter au moins quatre médecins pour établir précisément l’état du malade, ainsi que le caractère libre et éclairé de sa demande.
- La possibilité d’exprimer son souhait dans des directives anticipées.
- La création d’une clause de conscience que tout médecin dispose du droit de refuser sonconcours.
- La mise en place d’une commission régionale pour contrôler a posteriori le respect de toutes les conditions légales.
La droite déclare que le projet de F. Hollande serait « à l’origine de dérives dont nul ne saitoù elles nous conduiraient » (J-M. Nesme, député UMP, Valeurs actuelles, 2 février). En réalité, la droite ment (il est faux de dire, par exemple, que la loi pourrait s’appliquer aux malades mentaux ou aux personnes dépressives) et elle cherche à faire peur (pou rretarder l’émergence d’un consensus sur le sujet).
En encadrant par la loi l’aide active à mourir, François Hollande veut :
- Soulager les malades dont les douleurs sont rebelles à toutes les sédations. Au nom du respect de l'humanité et du refus de la souffrance, le législateur ne peut plus ignorer cette réalité.
- Déculpabiliser les médecins laissés seuls face à la détresse de leurs patients : le législateur ne fuir sa responsabilité et se défausser sur le corps médical.
- Clore les polémiques publiques nées de drames individuels. Le législateur ne peut plus méconnaitre que 94 % des Français sont désormais favorables à l’aide active à mourir (sondage IFOP de septembre 2011).
Alors que N. Sarkozy préfère laisser faire et activer les peurs à des fins électorales, F. Hollande veut apaiser la société en faisant prévaloir l'humanité et le droit, les deux piliersde notre contrat social. Il propose :
- davantage de fraternité face à la fin de vie, en permettant à ceux - et les mots ont un sens -qui souffrent "mille morts", d’obtenir qu’il y soit mis fin.
- davantage d’égalité car nous pensons choquant et injuste que la fin de vie dépende du degré de fortune et de relations de chacun, voire du hasard des pratiques hospitalières.
- davantage de liberté par une nouvelle avancée du droit.
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