Gratte-ciel grand luxe ou HLM?
Par Bertrand Greco - Journal du Dimanche - 1er juin 2008
La Défense se dotera-t-elle de deux tours Signal ? Le promoteur russe Hermitage et l’architecte français Jacques Ferrier sont bien décidés à construire coûte que coûte leur colossal projet de 309 mètres de haut – qui entend défier la tour Eiffel (300 m en 1889, 325 mètres aujourd’hui avec l’antenne) – en front de Seine, sur la commune de Courbevoie (92). Leur tour en forme de H, présentée comme « le plus haut immeuble mixte jamais construit en Europe occidentale », comptait parmi les cinq finalistes du concours « tour Signal » pour le renouveau de la Défense, remporté mardi par Jean Nouvel (lire son interview p. 8). Tous les lauréats étaient de grands noms de l’architecture mondiale : le Britannique Norman Foster, l’Américain Daniel Libeskind, le Français Jean-Michel Wilmotte. Bien que recalé, le projet Hermitage a reçu les compliments de Patrick Devedjian (UMP), patron du département et président de l’Epad* : « Un beau projet pour les bords de Seine », qui a « vocation à être réalisé ». Les travaux démarreront en 2010, pour une livraison en 2014. Problème: le site où doit s’élever le double gratte-ciel en verre accueille déjà des immeubles – les « Damiers » – regroupant 250 logements sociaux, propriété d’une filiale de la RATP, Logis Transports. Ceux-ci devront être démolis. D’où l’inquiétude des locataires et la colère de l’opposition municipale de gauche. « Ce projet est choquant, s’indigne Anthony Klein, élu PS de Courbevoie. On veut nous imposer une tour qui n’a pas gagné le concours. Il n’y a aucune raison, aucun argument économique ou urbanistique qui justifie que l’on fasse déguerpir des braves gens à jour de leur loyer, pour les remplacer par des habitants plus riches, des logements de luxe, un hôtel de luxe, des restaurants de luxe, des boutiques de luxe… La démarche relève du cynisme et de l’immoralité. » De son côté, le promoteur – filiale du groupe russe Stroïmontage – se veut rassurant et conciliant. « Nous nous engageons à reloger la totalité des familles d’ici à 2010, dans les Hauts-de-Seine ou à Paris, dans des appartements d’un standing égal, voire supérieur », assure Emin Iskenderov, président d’Hermitage. Comme preuve de sa bonne volonté, il annonce avoir « acheté un bel immeuble, à 50 mètres de là, 20 place des Iris, pour y créer 40 logements sociaux ». Le député-maire de Courbevoie, Jacques Kossowski (UMP), se montre très discret sur le sujet, bien que viceprésident de l’Epad. L’opposition dénonce sa « complicité » : « C’est au bailleur de reloger les locataires, le cas échéant, et à la ville de faire du logement social, pas à un promoteur privé », estime Anthony Klein, qui note que la part de logements sociaux dans la ville (19,5 %) diminuerait. Un palace, une salle de spectacle, un podium… Pas de quoi décourager l’Hermitage, qui prétend « humaniser » le quartier, en connectant la Défense à la Seine. Et si l’Epad ne donnait pas son accord pour les 30.000 m² de bureaux? « Le projet se fera quand même, sans bureaux. Dans les deux cas, l’équilibre financier sera réalisé », affirme Emin Iskenderov. Selon Jacques Ferrier, architecte pionnier en matière de développement durable, sa tour « mixte et écologique » va « contribuer à la ville ». Ses 250.000 m² se déclineront – outre les bureaux – en 120.000 m² de logements très haut de gamme, 50.000 m² pour un palace cinq étoiles (300 chambres), une salle de spectacle de 1.300 places « dédiée aux grandes comédies musicales internationales », une galerie d’art contemporain de 1.500 m², une patinoire ouverte au public, transformable en podium pour défilés de haute couture… Curieusement, le prix au m² des 530 appartements – plus de 200 m² en moyenne – est déjà annoncé: entre 10.000 et 12.000 €/m². Entre les deux tours, une « rue recouverte d’une immense verrière, façon passages parisiens », abritera « 24 heures sur 24 » des bars, restaurants et boutiques de luxe. En contrebas, les voies sur berges de la RD 7 doivent être surmontées d’un « espace paysager en gradins », qui donnera accès au fleuve, à ses restaurants gastronomiques en balcon et à son yacht-club. Plus rien à voir avec les HLM. *Etablissement public d’aménagement de la Défense.
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