Le Canard Enchainé - 10/12/2014
Les sanctions financières prises contre la Russie par les pays occidentaux font des victimes à… Paris. Deux tours hautes de 323 mètres devaient être bâties, pour 2 milliards d’euros, dans le quartier de La Défense par le groupe de promotion Hermitage, dirigé par des proches de Vladimir Poutine. A en croire l’Elysée, il n’en est plus question. « Tout est gelé, les tours ne verront pas le jour », confie au « Canard » un conseiller de Hollande.
Imperturbable, le bétonneur continue d’annoncer le « prochain » démarrage du chantier. En réalité, les deux banques russes, proches du Kremlin, qui avaient accepté de prêter les fonds nécessaires au projet, sont incapables de se refinancer sur les marchés internationaux. Et les caisses d’Hermitage restent à peu près vides. Pour essayer de s’en sortir, le promoteur vient d’appeler discrètement au secours les chinois du groupe immobilier Greenland. Mais ces derniers n’ont pas encore donné leur réponse.
Côté français, l’Epadesa (établissement public d’aménagement de La Défense, ex-Epad) fait, lui aussi, comme si de rien n’était. Ses dirigeants annoncent toujours pour « bientôt » la signature avec Hermitage d’une promesse de vente portant sur 50 millions d’euros de droits à construire. « On nous ressert la même chanson, ricane un élu UMP qui siège à l’Epadesa. Chaque année, l’établissement public inscrit les 50 millions dans son budget révisionnel pour faire semblant d’équilibrer les comptes, mais les Russes ne paient jamais… »
Sarko à la truelle
Cette opération grandiose traîne en réalité, depuis quatre ans et demi. Le 19 juin 2010, quelques mois après le parachutage manqué de son fiston Jean à la tête de l’Epad, Sarko père assiste à une petite cérémonie à Saint-Pétersbourg en présence de son homologue russe.
Sous le regard bienveillant des deux président, les dirigeants de l’établissement public paraphent un étonnant protocole avec l’homme d’affaire Emin Iskenderov. Agé aujourd’hui de 38 ans, ce fils d’apparatchik, au look détonnant et au visage d’enfant boudeur, préside depuis 2004 aux destinées du groupe immobilier Hermitage, dont l’actionnariat semble aussi mystérieux que les bords de la Neva par une nuit de brouillard.
Le texte prévoir la réalisation d’un projet mégalo comme son promoteur : affichant juste un mètre de moins que la tour Eiffel, les deux gratte-ciel doivent être édifiés sur une place baptisée du nom de Napoléon Bonaparte. Ils seront destinés à accueillir des bureaux de grand luxe, mais aussi des appartements géants pour milliardaires, vendus 20 000 euros le mètre carré.
Seul souci : l’emplacement des tours est occupé par un ensemble de 230 logements sociaux, en bon état, construits dans les années 70. Peu importe : le promoteur a prévu d’expulser les locataires et de les reloger à ses frais. Mais les intéressés ne l’entendent pas de cette oreille et engagent bientôt une longue bataille juridique – qui dure toujours – pour faire annuler le projet.
Malgré ces petits tracas, le groupe Hermitage s’est débrouillé pour ne presque rien débourser. La facture de l’achat des 230 logements n’a pas encore été réglée, l’Epadesa n’a été payé que de bonnes paroles et les 70 millions qui devait encaisser le département des Hauts-de-Seine pour aménager les routes d’accès restent bloqués…
Ce grand flou financier n’a pas empêché Hermitage de promettre successivement la fin du chantier pour les années 2015, 2016, 2018, 2019 et – désormais- 2021. Mais c’est sûrement l’année de la saint-glinglin…
Hervé Liffran
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